Analyse Ineos 1:59 Challenge
Ca y est un homme vient de briser la barrière mythique des 2h sur la distance reine en endurance : le marathon.
Retour sur les différents records sur la distance Marathon :
1er record en 1908 à Londres (J.O), Johnny Hayes en 2h55min18s, vitesse moyenne à 14,44 km/h
Depuis les années 2000
2002 à Londres, Khalid Khannouchi en 2h05min38s, vitesse moyenne à 20,15 km/h
2003 à Berlin, Paul Tergat en 2h04min55s, vitesse moyenne à 20,26 km/h
2007 à Berlin, Haile Gebreselassie en 2h04min26s, vitesse moyenne à 20,34 km/h
2008 à Berlin, Haile Gebreselassie en 2h03min59s, vitesse moyenne à 20,42 km/h
2011 à Berlin, Patrick Makau en 2h03min38s, vitesse moyenne à 20,47 km/h
2013 à Berlin, Wilson Kipsang en 2h03min23s, vitesse moyenne à 20,52 km/h
2014 à Berlin, Dennis Kimetto en 2h02min57s, vitesse moyenne à 20,59 km/h
2018 à Berlin, Eliud Kipchoge en 2h01min39s, vitesse moyenne à 20,81 km/h
Fiche Technique Eliud Kipchoge :
né en 1984 (35ans), 1m67 pour 57 kg,
Palmarès hors Norme : (résumé ici avec seulement les victoires et déjà très fourni... )
5000m à Paris en 2003 en 12min 52s Champion du monde
Semi-marathon de Barcelone en 2013 en 1h00min 4s
Marathon de Hambourg en 2013 en 2h05mn30s
Semi-marathon de Barcelone en 2014 en 1h00min 52s
Marathon de Rotterdam en 2014 en 2h05min
Marathon de Chicago en 2014 en 2h04mn11s
Marathon de Londres en 2015 en 2h04min41s
Marathon de Berlin en 2015 en 2h04min
Marathon de Londres en 2016 en 2h03min5s
Marathon de Rio de Janeiro en 2016 en 2h08min44s Champion Olympique
Breaking2 de Nike en 2017, Marathon en 2h00min25s Record du monde non homologué
Marathon de Berlin en 2017 en 2h03min32s
Marathon de Londres en 2018 en 2h04min27s
Marathon de Berlin en 2018 en 2h01min39s Record du monde actuel
Marathon de Londres en 2019 en 2h02min37s
Ineos1:59 Challenge en 2019, Marathon en 1h59min40s Record du monde non homologué 1er homme à courir sous la barrière des 2h
Entrainement avant le projet Ineos1:59 (source Sweat Elite)
213 kilomètres par semaine entre 2100m et 2400m d’altitude
Séances de fractionné sur piste de terre à 2000m au Kenya
15x1min à 2mn50/km
5x2000
20x400m en 64s en moy
Séances de Fartlek en route et trail
25x1min à 2mn45/km
4x10min
Séances longues entre 30 et 40 km en 3mn15/km sur route piste, trail et boue.
Musculation : pas de charge lourde.
Circuit du projet Inéo1:59 (source Ineos159challenge.com)
Course qui s’est déroulée dans les rues de Vienne sur une distance de 9,6 kilomètres sur un aller/retour présentant un faible dénivelé 2,4m ou 0,06%(positif et négatif), pour plusieurs raisons :
- Faible décalage horaire par rapport au Kenya.
- Climat optimum (faible taux d’humidité, température basse).
- Faible altitude, sachant qu’il s’entraine sur les hauts plateaux kényans entre 2000 et 2400m, cela est bénéfique pour sa performance.
- Proximité du Danube et d’étendues vertes lui apportant de la fraicheur.
La chaussure : (Source :la cave à Jaive, demande de brevet US20180213886 déposé par Nike ; SPE15)
C’est certainement, avec la performance, le point qui a fait couler le plus d’encre.
Son nom, la Nike AlphaFly.
Que savons nous des chaussures ? Déjà que le facteur poids - la mousse Zoom X est légère - est en relation avec la performance (Hoogkamer et al. 2016). Mais aussi qu'elles jouent probablement un autre facteur important et plus subjectif, celui du confort (Nigg et al. 2015). Ensuite, Eliud Kipchoge est au centre du projet depuis plusieurs années, et donne son feedback à Nike pour faire évoluer leur gamme de chaussures de running, en particulier celles destinées à ce record.
Très clairement, elle fait partie des chaussures ayant un des stack les plus haut du marché, voire même le plus haut. Cela va à l'encontre de ce qu'on l'on voyait il y a quelques années encore, avec des racers les plus fines possibles - peut être car ces chaussures plus épaisses restent relativement légères-
Elle entre tout à fait dans la tendance actuelle des fabricants de chaussures qui incorporent des plaques de carbone ou de TPU pour stabiliser le pas et dynamiser la foulée (Hoka carbon X, ON cloud, Asics Métaride)
A prendre en compte : cette chaussure est a priori conçue pour un coureur élite de 57kg avec une vitesse de 21km/h et pour qui la question du renouvellement de chaussure ne pose pas de problème. De plus un tel prototype contrevient aux règles de l'IAAF et ne pourrait pas être utilisé dans une course officielle : au minimum, elles doivent être "raisonnablement disponibles pour tous, dans l'esprit de l'universalité de l'athlétisme" (règle 143 IAAF).
Les caractéristiques (à prendre avec précaution, nous n'avons pas trouvé de source officielle) :
Drop : 9mm
Stack talon : 51mm
Stack avant pied : 42mm
Poids : NC
Plusieurs questions restent en suspens comme le poids de la chaussure ou les matériaux utilisés ainsi que les qualités de rémanence de la mousse (146j ;154j ;152j), le tout entrecoupé par 3 plaques de carbone (236 du talon à l’avant pied ;238 ;240 uniquement sous l’avant pied) spécialement découpées laissant ainsi la place aux 2x2 plots sous les têtes métatarsiennes (40j). Ces derniers sont remplis de liquide sous pression entre 1.4 et 1.7bar, et sont maintenus par des lamelles verticales telles les rayons d’une roue de vélo. De cette manière ils peuvent se comprimer pour absorber l’énergie.
A la pose du pied, les forces induites dans la semelle vont mettre en charge la plaque de carbone, puis celle-ci transmettra son énergie aux coussins. Les coussins se déformeront pour absorber l’énergie, et pour retransmettre l’énergie lors du retour à leur forme initiale.
Ross Tucker, physiologiste sud-africain, expose une théorie sur le gain obtenu grâce à la chaussure Nike. En partant d’un athlète capable de courir le marathon en 2h03 sans chaussure, le gain d’énergie obtenu correspond à 3 min de gain de chrono, , soit un impact sur la performance de 2.6%.
Ce sont des chiffres de laboratoire. La réalité n’est pas aussi simple. Mais même en ne considérant que la moitié de gain imputé par la chaussure, l’athlète gagnerait +/- 1min30 sur le marathon.
Conditions de course : (Source : SPE15, the engineer)
Voiture avec laser afin de permettre la meilleure position des pacers (emplacement dédié à chacun d’entre eux) et surtout imposant le rythme, d’où la régularité extrême des coureurs (à voir au chapitre analyse du chrono).
41 pacers de niveau international pour faire du drafting (rajout par rapport au projet breaking2en 2017 de 2 pacers à l’arrière d’Eliud Kipchoge). Les pacers se renouvelaient régulièrement pour maintenir l’allure
Ce système de drafting lui aurait permis de gagner entre 1min20 et 1min40 selon le site spécialisé SPE !!
Voici l’excellente analyse du phénomène de drafting sur la tentative du Breaking2 en 2017 à Monza
« Les simulations suggèrent que l’influence combinée de la voiture, de l’horloge et des pacers, ont réduit la trainée aérodynamique éprouvée par Kipchoge lui permettant d’économiser plus de 30 watts (environ 10% de son niveau d’effort global), par rapport à un coureur solitaire à la même vitesse ».
Pas franchement une course qui s’est déroulée de manière écologique. Nous pouvons parler de "dopage technologique", où l’apport de la science a pu permettre une telle performance.
En ce qui concerne le dopage, nous ne nous risquerons pas à aborder le sujet. Laissons la parole à un spécialiste reconnu internationalement : Pierre Sallet ici
Analyse du chrono :
1h59min40s Chrono Historique car aucun Homme n’était descendu sous la barrière des 2 heures au marathon.
Un chef d’œuvre de régularité tout au long de l’épreuve en grande partie grâce au rythme imposé par la voiture
1er 5km : 14min10
2ème 5km : 14min10
3ème 5km : 14min14
4ème 5km : 14min13
5ème 5km : 14min12
6ème 5km : 14min12
7ème 5km : 14min12
8ème 5km : 14min13
Allure moyenne 2min50 au kilomètre
17sec au 100m sur 42 kilomètres
Validité du record :
Gros coup de com’ mais ce record n’est pas valide car il n’a pas été effectué sur une course officielle.
Nul doute que la porte du sub 2h est ouverte. C’est n’est surement qu’une question de temps, mais pour ce chrono, la part de la technologie mais aussi de la gestion de l’environnement externe est bien trop importante. Cela n’enlève en rien à l’extraordinaire performance d’Eliud Kipchoge.
Olivier Garcin